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L’accueil des fratries : une spécificité de la maison d’enfants de Paris, une chance pour les enfants et leurs parents

L’accueil des fratries : une spécificité de la maison d’enfants de Paris, une chance pour les enfants et leurs parents
19 novembre 2018 isabelle.duhau

Interrogés sur les modalités d’accompagnement des fratries, Véronique Alleaume, directrice, et Grégory Garcia, chef de service éducatif, exposent les bénéfices de cet accueil dans l’établissement et les situations particulières qui invitent les éducateurs à travailler avec les enfants sur leur place au sein de la fratrie et sur un vrai projet familial. La parole est ensuite donnée à deux fratries accueillies dans ce lieu depuis plusieurs années.

Grâce à sa configuration et à la volonté de sa directrice, la maison d’enfants à caractère social (MECS) développe depuis quelques années l’accueil des fratries. Cette ouverture vient corriger une situation qui ne joue pas en leur faveur : dans le cadre des placements sur décision judiciaire, la plupart des enfants de moins de 14 ans sont confiés à des familles d’accueil. Ces familles étant rarement en mesure de recevoir une fratrie complète, la séparation des frères et sœurs est donc fréquente, créant une souffrance qui s’ajoute à une situation déjà traumatique de rupture du lien parental.

L’accueil dans un même lieu d’une fratrie complète est donc une chance indiscutable : il rassure enfants et parents et maintient ce lien fraternel crucial qui permet de mieux vivre les expériences familiales difficiles. Ce choix est d’ailleurs préféré par les référents de l’Aide sociale à l’enfance, quand les places disponibles le permettent.

Actuellement dix fratries sont ainsi hébergées depuis plusieurs années au sein de la MECS, soit vingt-deux enfants au total. Ils peuvent être répartis dans différents groupes de vie, en fonction de leur âge et de leur sexe. Les groupes sont définis par tranches d’âge (7 à 14 ans et 14 à 18 ans) et les membres de chaque groupe partagent un « appartement » de 10 à 12 jeunes. L’organisation de ce lieu se veut proche d’une vie de famille avec chambre individuelle pour chacun, cuisine et espaces communs conviviaux. Une maîtresse de maison et des éducateurs en roulement encadrent chaque groupe. Les enfants d’une même fratrie peuvent être dans un même groupe ou bien se retrouver pour des temps de loisirs et après les repas.

 

Bénéfices et situations particulières de l’accueil de fratries

 Réconforter les enfants

Accueillis ensemble dans un même foyer, les frères et sœurs vivent moins durement la séparation d’avec leurs parents. Le lien familial, élément de stabilité, est maintenu à travers la cohésion de la fratrie, soudée par la solidarité et le soutien mutuel entre frères et sœurs et, pour les plus petits, le sentiment d’être protégé. Réconfortés et apaisés, les enfants ont souvent plus de facilité à s’adapter au reste du groupe. Parfois au contraire, ils privilégient les liens fraternels et ont plus de mal à s’intégrer au groupe ou encore acceptent plus difficilement l’autorité des éducateurs. C’est souvent le cas quand l’aîné est investi d’un rôle parental, accentué par une situation familiale dans laquelle les parents ont désinvesti toute autorité. Il s’agit alors pour l’institution de redonner à chacun un vrai statut d’enfant conforme à son âge.

Redonner à chaque enfant une vraie place

L’accueil de la fratrie permet aux éducateurs de redonner à chacun de ses membres une vraie place, dans le respect de son individualité et de son âge.

Les éducateurs savent le cas échéant repérer les enfants « chefs de famille », qui endossent un rôle parental vis-à-vis des plus petits à un âge où ils ont droit à un peu d’insouciance. Dans les fratries issues de l’immigration (80% des enfants accueillis), le rôle d’ainé(e) est « culturellement très fort, imposant des responsabilités quasi parentales aux premiers nés » selon Mme Alleaume. Les filles agissent comme des mères auprès de leurs frères et sœurs. Les frères ainés quant à eux « prennent le pouvoir » reprenant à leur compte l’autorité défaillante des parents. Les ainés s’empêchent ainsi de vivre leur enfance puis leur adolescence.

Les ainés ainsi parentalisés peuvent aussi jouer un rôle perturbant pour les plus petits qui, en l’absence des parents, s’en remettent à leur autorité et s’interdisent toute liberté et toute décision personnelle. Mme Alleaume mentionne le cas d’une petite fille syrienne qui, après exclusion du collège, s’est vu proposer une médiation scolaire qu’elle a refusée sous la pression de son frère ainé investi de tous les pouvoirs par une mère très culpabilisée.

Le rôle des éducateurs est alors d’affranchir progressivement les ainés de cette charge disproportionnée et de redonner de l’indépendance aux petits. « Les premiers temps, ces fratries peuvent être accueillies au sein d’un même groupe pour rendre la séparation moins violente puis nous faisons un travail de mise à distance progressive » explique Grégory Garcia. « Tout en restant très attentive, l’ainée peut enfin vivre sa vie et sa petite sœur s’autonomiser. Chaque enfant retrouve alors sa place au sein du groupe. » Parfois, ce sont les enfants eux-mêmes qui demandent à ne pas être dans le même groupe que leurs frères et sœurs car ils ressentent la séparation immédiate comme salutaire. Ces besoins des enfants sont évalués par le référent de l’Aide à l’enfance et déterminent, après échanges avec l’établissement, l’organisation et l’évolution de l’accueil des fratries.

Rassurer les parents et faciliter leur quotidien et la reprise du lien

Les parents quant à eux visitent dans un lieu unique tous leurs enfants réunis. A la MECS a été aménagé un espace dédié « Parent’aise » pour un moment qui se veut privilégié.

En relation régulière avec les éducateurs, les parents de la fratrie réunie peuvent exposer leur histoire une bonne fois pour toutes auprès d’un seul interlocuteur. Ce qui leur épargne une réactivation renouvelée du traumatisme vécu : « J’en avais assez de raconter ma vie privée » a pu dire une mère dont tous les enfants avaient enfin été regroupés à la maison d’enfants. Les parents sont également soulagés de savoir leurs enfants ensemble et le lien familial maintenu.

Dans certaines rares circonstances, le centre accueille en urgence une fratrie sur demande du juge des enfants, pour un temps de transition et d’évaluation de la situation familiale. Le regroupement des enfants présente alors l’avantage de ne pas les troubler plus avant pendant cette période anxiogène. Durant l’été 2018, la MECS a ainsi reçu une fratrie de cinq, dont le père était en détention provisoire et la mère très perturbée. Cet accueil a permis non seulement de limiter le traumatisme des enfants, mais également de simplifier le travail d’évaluation de la mère en limitant ses visites et son nombre d’interlocuteurs. Il a permis aussi, explique Madame Alleaume, « d’accorder du temps à la mère pour qu’elle puisse faire son propre cheminement afin de reprendre pied sereinement et se préparer au retour de ses enfants ».

Travailler un vrai projet familial

L’accueil des fratries permet un travail très spécifique et bénéfique à l’avenir du lien familial. Il s’agit pour les éducateurs explique madame Alleaume « de renommer les racines de la famille, d’en faire accepter les failles et de faire comprendre à chacun que, devenir adulte, c’est comprendre quelle est sa relation aux liens familiaux. Quand ceux-ci sont clarifiés et apaisés, l’enfant et l’adolescent peuvent grandir au-delà du regard et du désir de ses parents. Auprès des parents, le travail consiste à déconstruire l’enfant idéalisé pour le remettre à sa juste place ».

Ce travail est crucial au vu des statistiques : la moitié des enfants accueillis à la MECS ne retournent jamais dans leur famille, un quart la visite ponctuellement, seul le dernier quart la réintègre pleinement.

 

La parole aux JEUNES

LA Fratrie Ngalula

 Il y a trois ans, la fratrie Ngalula : Joseph 14 ans, Pierre 7 ans et Myriam 10 ans est placée à la MECS. Les deux garçons sont réunis au sein d’un même groupe tandis que Myriam rejoint un groupe de filles. Joseph, « pas très heureux d’être là », reconnait avoir été très renfermé les premiers temps, méfiant et agressif envers les autres, mais protecteur envers son frère et sa sœur. Pierre et Myriam en revanche ont moins de difficulté à parler avec les autres enfants du foyer même si Pierre a parfois du mal à accepter l’autorité des éducateurs. Être ensemble leur donne « la force d’un bloc » selon Joseph, un bloc qui a l’avantage de les rassurer dans un monde qu’ils ne connaissent pas, mais l’inconvénient de ralentir leur intégration au groupe admet-il.

Joseph change de tranche d’âge et de groupe et, avec le temps, s’ouvre aux autres et s’habitue à cette nouvelle vie. Les frères et la sœur se voient au cours des activités mixtes organisées par le centre. Les échanges au sein de la fratrie sont surtout fréquents entre Joseph et Pierre, sur leur initiative ou celle des éducateurs. Ils passent du temps ensemble à l’occasion des repas, en fin d’après-midi, en soirée, le week-end, pour regarder la télévision, jouer à la console ou aller au stade. Myriam, plus grande et plus autonome que Pierre, a moins besoin du temps de Joseph mais ils partagent des repas ou font du shopping ensemble. En revanche, elle aussi s’occupe du petit frère, qu’elle vient par exemple chercher pour qu’ils téléphonent ensemble à leurs parents depuis sa chambre.

Son autorité de grand frère, Joseph arrive parfois à s’en débarrasser mais elle reste présente, sans trop gêner Pierre qui apprécie toujours les conseils de son frère.

Chacun se sent maintenant bien intégré dans son groupe. Les résultats scolaires des deux plus jeunes sont très bons. Quant à Joseph, il admet ne pas donner le meilleur de lui-même, tout en encourageant son frère et sa sœur. Il ambitionne malgré tout de devenir ingénieur en développement durable tandis que Myriam aspire à être et mannequin ou agent immobilier et Pierre footballeur professionnel.

Le tempérament des deux garçons s’est assagi avec le temps, ce qui n’empêche pas quelques conflits ponctuels avec certains éducateurs. Comme dans une vraie famille.

LES SOEURS Virtanen

Deux sœurs jumelles, Marine et Anaïs (photographiées lors de la fête de fin d’année scolaire de juin 2017), ont été pensionnaires de la maison d’enfants pendant des années. En quittant le centre, plusieurs mois après leur majorité grâce à un contrat jeune majeur, elles ont obtenu que leur petite sœur Jade soit à son tour accueillie dans l’établissement.

Marine et Anaïs se souviennent de leurs débuts : arrivées à 17 ans, elles sont soulagées d’être ensemble, malgré le cataclysme que représente la séparation d’avec leur petite sœur. En se donnant mutuellement repères et stabilité, elles se sentent moins angoissées face à des adultes inconnus. Elles admettent être « difficiles à apprivoiser par les éducateurs ».

Extrêmement soudées les premiers temps, elles ont su ensuite « s’émanciper l’une de l’autre », aidées en cela par une séparation physique d’un étage entre leurs deux chambres. Elles sont rapidement intégrées au « duplex », un appartement relevant d’une organisation adaptée à la prise d’autonomie et préparant au départ de la MECS des jeunes devenus majeurs. Anaïs dit avoir « réappris à être adolescente », elle qui avait grandi trop vite, et avoir repris sa vie « dans le bon sens ». Elle a appris à s’occuper d’elle et à pratiquer des activités par elle-même. Marine remarque qu’elles parlent désormais en leur propre nom et ont abandonné ce « nous » englobant qui prévalait avant.

L’arrivée de Jade semble naturelle pour les deux jumelles. Elles connaissent les conditions d’accueil et les éducateurs. Pas question pour elles que leur sœur soit placée ailleurs : Jade ici, c’est une évidence !

D’abord intégrée chez les petits, Jade n’est séparée de l’appartement de ses sœurs que par une porte symbolique. La cohabitation est malheureusement très courte mais Marine et Anaïs font désormais des visites régulières au centre, dans le cadre du suivi prévu pour les « jeunes adultes » et pour voir leur petite sœur. Depuis que les jumelles sont engagées dans des études en alternance, elles regrettent de ne pas offrir suffisamment de temps à Jade mais sont rassurées de la savoir en de bonnes mains.

 

Raphaëlle Joubert